La société civile interpelle Thalès sur son soutien indirect à la junte birmane

November 30, 2021

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Paris, le 30 novembre 2021 – Info Birmanie, Justice For Myanmar, Reporters sans frontières (RSF) et Sherpa dénoncent les exportations de technologies militaires effectuées par Thalès à un intermédiaire indien partenaire de la junte birmane, qui auraient été réalisées en violation des mesures restrictives imposées par de l’UE après le coup d’État de février 2021 au Myanmar. Les ONG appellent Thalès à cesser ces exportations, et demandent aux autorités françaises de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser ce partenariat et adopter une loi permettant de sanctionner la violation des embargos.

Une enquête de Justice For Myanmar publiée au printemps dernier a révélé que l’un des partenaires de longue date de Thalès, l’entreprise indienne Bharat Electronics Limited (BEL), s’avère être un fournisseur particulièrement proche de la junte birmane, qui lui exporte des technologies militaires.

Sur la base de ces révélations, Info Birmanie,  RSF et Sherpa ont interpellé Thales dans un courrier daté du 26 novembre 2021. Les ONG ont appelé l’entreprise française à mettre un terme à tout transfert de ses technologies vers la junte au Myanmar, et plus généralement à cesser définitivement sa relation d’affaires avec BEL et avec tout autre partenaire du régime birman.

Les investigations de Justice For Myanmar font état des liens étroits de BEL avec la junte et démontrent la fourniture de matériel à l’armée, ce que BEL confirme dans son rapport annuel 2020-2021.

Selon les informations recueillies, BEL a procédé à au moins sept exportations de radars et équipements au profit de la junte birmane depuis le coup d’État du 1er février 2021 (alors même que des sanctions internationales étaient prises à l’encontre du Myanmar et que les États et les entreprises étaient appelés à prendre toute mesure nécessaire pour ne pas alimenter les atteintes aux droits humains de la junte). BEL lui aurait aussi exporté un système de contrôle d’armes à distance, en partie géré par des dirigeants de la joint venture BTSL (créée entre BEL et Thales Systems Limited).

Au vu de ces informations, il est probable que la technologie partagée par Thalès à BEL, et réexportée par BEL dans ses équipements, soit donc directement transmise à la junte birmane, et potentiellement utilisée par elle pour perpétrer ses atrocités. Ces exportations pourraient alors constituer une violation des mesures restrictives européennes et des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme de l’ONU.

Yadanar Maung de Justice For Myanmar insiste sur le fait que « plus de 1290 personnes ont été tuées par la junte depuis sa tentative de coup d’État, dont des enfants. Frappes aériennes aveugles, destructions de villages, meurtres, viols : l’armée intensifie sa campagne de terreur. Voilà le contexte dans lequel le partenaire de Thalès, Bharat Electronics Ltd, continue de fournir des équipements à la junte. Thalès doit rompre ce partenariat pour mettre fin à tout soutien direct et indirect aux militaires, qui sont des terroristes. »

Pour la coordinatrice d’Info Birmanie, Sophie Brondel « cette affaire confirme le besoin urgent d’un embargo mondial sur les armes en Birmanie, comme y appelaient en février 136 organisations à travers le monde, dont Justice for Myanmar et Info Birmanie. »

« Thalès doit mettre fin à ses relations d’affaires qui profitent à la junte Birmane, déclare pour sa part le responsable juridique de Reporters sans frontières (RSF), Paul Coppin.  Le ‘business as usual’ n’est plus possible avec un pays comme le Myanmar, dont la junte au pouvoir réprime férocement les journalistes et anéantit la société civile. »

Laura Bourgeois, chargée de contentieux et de plaidoyer à Sherpa, estime de son côté que « les entreprises françaises qui fournissent directement ou indirectement des groupes armés et soutiennent ainsi leurs actions ne sont pas suffisamment inquiétées ni responsabilisées : les règles existantes pour les sanctionner sont des règles spéciales trop éparses et restreintes pour être dissuasives. Il est temps que le législateur français crée une infraction réprimant la violation d’embargos en tant que telle. »

Les États membres de l’UE, et donc l’État français, ont la responsabilité de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la portée et l’efficacité du droit communautaire, dont les mesures restrictives font partie, et de mettre en place au niveau national des sanctions qui soient effectives, proportionnées et dissuasives.

Les quatre ONG signataires n’excluent pas de donner des suites judiciaires à ces révélations, et de mobiliser la société civile et les autorités compétentes afin qu’elles utilisent au mieux les règles applicables à la violation de mesures restrictives européennes.

Contexte juridique

La Décision du Conseil Européen 2013/184/PESC renouvelée jusqu’au 30 avril 2022 par la décision (PESC) 2021/711 du Conseil du 29 avril 2021 interdit « la vente et la fourniture au Myanmar, ainsi que le transfert et l’exportation à destination de ce pays, par les ressortissants des États membres ou depuis le territoire des États membres (…) des équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne, qu’ils proviennent ou non de leur territoire ».

L’Article 3 bis du règlement 401/2013 du Conseil concernant les mesures restrictives instituées en raison de la situation au Myanmar/en Birmanie tel que modifié par le Règlement 2021/479 du Conseil du 22 mars 2021 interdit « de vendre, de fournir, de transférer ou d’exporter, directement ou indirectement, des biens et technologies à double usage énumérés à l’annexe I du règlement (CE) n° 428/2009 du Conseil (…) à toute entité ou tout organisme au Myanmar ou aux fins d’une utilisation dans ce pays, si ces biens et technologies sont ou peuvent être destinés, entièrement ou en partie, à un usage militaire, à un utilisateur final militaire (…) » étant précisé que « lorsque l’utilisateur final est l’armée du Myanmar, tout bien et toute technologie à double usage qui lui sont fournis sont considérés comme ayant un usage militaire. »

Le Principe n°13 des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme de l’ONU prévoit que :

« La responsabilité de respecter les droits de l’homme exige des entreprises :

1. Qu’elles évitent d‘avoir des incidences négatives sur les droits de l’homme ou d’y contribuer par leurs propres activités, et qu’elles remédient à ces incidences lorsqu’elles se produisent ;
2. Qu’elles s’efforcent de prévenir ou d’atténuer les incidences négatives sur les droits de l’homme qui sont directement liées à leurs activités, produits ou services par leurs relations commerciales, même si elles n’ont pas contribué à ces incidences »


La Cour de Justice de la Communauté Européenne a jugé en son temps, le 21 sept. 1989, qu’ « il convient de relever que, lorsqu’une réglementation communautaire ne comporte aucune disposition spécifique prévoyant une sanction en cas de violation ou renvoie sur ce point aux dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales, l’article 5 du traité impose aux États membres de prendre toutes mesures propres à garantir la portée et l’efficacité du droit communautaire. » (aff. 68/88, Comm. c/ Grèce, §23).

Pour plus d’informations

Laura Bourgeois – Sherpa : laura.bourgeois@asso-sherpa.org – 07 80 91 65 13

Sophie Brondel – Info Birmanie : sophie@info-birmanie.org  – 07 62 80 61 33

Paul Coppin – Reporters Sans Frontières : paul.coppin@rsf.org

Yadanar Maung – Justice For Myanmar : media@justiceformyanmar.org